Alain Veinstein

N

Née en Israël en 1989, Nathanaëlle Herbelin est venue à Paris en 2011 pour étudier aux Beaux-Arts. Un double horizon géographique : Israël et la France – avec tout ce que la géographie génère, et parfois bouleverse, comme sentiment d’appartenance.

J’insiste sur la dualité.

Ce qu’on peut appeler le « réel » a pour Nathanaëlle une double assise, est redevable d’un double soubassement de l’expérience. On ne s’étonnera pas que sa peinture affronte le double versant de ce qui la fait vivre.

L’un, tourné vers le « réalisme » : ses peintures sont figuratives et ne prennent apparemment pas de liberté avec l’ordre des choses.

L’autre, au contraire, débusque et laisse émerger l’ « imaginaire ». Je mets autant de guillemets à « imaginaire » que j’en ai mis à « réalisme ».

Une illustration parfaite de cet état de deux en un est apportée par Cerulean, le magnifique tableau de 2018 qu’elle a récemment proposé à l’exposition du Prix Antoine Marin à Arcueil. Un mur occupe la plus grande partie de l’espace. Mur imposant comme ceux auxquels on se heurte sans espoir de les franchir. Mur, qui plus est, faisant l’objet d’un camouflage. N’étaient les impacts de balles qui le trouent, ce mur, en effet, a l’apparence du ciel. Un ciel, dirait-on, remisé dans un coin de grenier. Un ciel semblable à celui qu’on aperçoit par beau temps dans l’ouverture d’une fenêtre… Celle, peut-être, par laquelle, dans son Traité, Alberti définissait la peinture. Dirait-il aujourd’hui que la peinture est le mur camouflé en ciel qui nous tient lieu de fenêtre ?

Au moins est-elle la résultante de forces contradictoires qui la développent, chez Nathanaëlle Herbelin, en trois catégories principales : les paysages (sans figures), les figures (sans paysages) et les intérieurs où se joue le théâtre des choses.

Nathanaëlle se revendique comme « documentariste ». Le (ou la) documentariste collecte les éléments de sa recherche, des pièces détachées, pour ensuite procéder à leur agencement. C’est là qu’intervient le geste décisif du montage qui fait de la documentariste une metteuse en scène, même si chez Nathanaëlle le côté spectaculaire est en tous points inexistant. Lui revient seulement la rude tâche de déceler – ou d’inventer – le fil invisible, j’y reviens, qui relie les choses entre elles, entre personnel et universel, intime et politique : je ne fais ici que reprendre ses mots.

Je verrais volontiers dans ce fil une définition de son travail. Son fil rouge, serais-je tenté d’écrire. Une sorte de dialogue des contraires, la recherche de l’unité dans la partition. Nathanaëlle en tire une charge émotionnelle d’autant plus forte qu’elle s’abstient de tout lyrisme appuyé. Ses images s’imposent par leur violence muette, leur tension calme.

Alain Veinstein