Emanuele Coccia, 2018

Tout est en ordre. Tout a sa place. Comme si l’espace était habité. Comme si quelqu’un y vivait. Et pourtant la présence humaine dans ces espaces est rarissime. Comme si la peinture préférait s’attarder sur le lieu, juste quelques secondes avant ou après l’instant décisif. Comme si l’événement, l’histoire n’étaient pas vraiment intéressants. Comme si ce qui comptait était la vie qui les entoure : les petits objets inanimés et négligés qui pourtant portent le poids du destin du monde singulier et collectif.

Rarement la peinture a su saisir la vie quotidienne avec une telle douceur et une telle pudeur. Aucune trace du cynisme que l’école réaliste a prétendu voir dans la vie ordinaire qui est au cœur de la modernité. Pas de corps défaits, pas de signes morts. Et surtout il n’y a pas l’atmosphère lourde d’ennui et de désespoir qui semble être le chiffre de tout ce qui est en deçà de l’Histoire et de l’Evénement. Il serait difficile d’imaginer plus de lumière, même lorsqu’il s’agit d’un paysage nocturne ou lunaire.

Cette extériorité aux événements ne glisse jamais vers une extranéité au temps et au monde. Une sorte d’éternité rayonne de chacun de ces tableaux, comme si tout lieu était saisi en tant que lumière d’un bonheur qui se montre dans son visage le plus lumineux : celui d’une possibilité future ou d’un souvenir qui n’arrive plus à s’estomper, qui est devenu le lieu et la forme de notre vie.

La peinture de Nathanaëlle Herbelin est à la fois un renversement et une radicalisation de l’idée d’éternel retour : elle est ce qui résulte de la volonté de vivre non seulement les instants, mais aussi les lieux que nous avons vécus « encore une fois et encore d’innombrables fois ». Comme si la peinture elle-même était cette volonté de faire revenir tout ce qui existe dans notre vie dans sa lumière de perfection. Non seulement « chaque douleur et chaque plaisir et chaque pensée et soupir et tout ce qu’il y a dans ta vie d’indiciblement petit et grand », mais aussi cette pièce, cet arbre, cette affiche. La peinture alors est cet « éternel sablier de l’existence sans cesse renversé » qui permet à toute la lumière du monde de revenir sans cesse habiter notre existence.