Shahar Fineberg / La rébellion du contenu

L’eau apparaît chez Nathanaëlle Herbelin le plus souvent par son absence. L’artiste représente souvent le désert, dont le sable brille parfois comme de la neige, ou bien des intérieurs investis d’objets personnels. Son tableau « Café », par exemple, ne représente pas le liquide du café, mais seulement le manchon qui protège de la chaleur d’une tasse disparue. Dans « Netilat yadaïm », Nathanaëlle Herbelin dépeint le récipient utilisé par les Juifs pieux pour le lavage cérémonial des mains avant la prise des repas. Mais ce récipient est vide.

Dans son tableau « Piscine la nuit », on voit une scène de nuit : une cour bordée d’une arcade, d’une maisonnette à deux fenêtres d’un bleu sombre, d’un toit à la pente rouge vermillon. Au centre du tableau trône une grande piscine rectangulaire remplie d’eau à la couleur de la nuit. L’eau, telle que la représente ici l’artiste, est immobile et opaque, ne trahissant son identité que par les reflets fantomatiques des formes de l’arcade, des fenêtres sombres et d’une sorte de plongeoir sculptural. Toutes ces formes architecturales, l’œuvre des gestes et de la pensée de l’homme, sont bien tracées, bien définies, totalement inertes. Mais le sol autour du bassin indique autre chose. Nathanaëlle Herbelin le peint aux traits libres, tirés d’un ambre aux ondulations bleuâtres, comme si le contenu de la piscine débordait au dehors de ses confins autrement étanches par les seuls gestes de l’artiste.

Après avoir énoncé en 1964 son dicton célèbre, « The medium is the message », le philosophe canadien Marshall McLuhan nous a également rappelé que le message et son médium se prêtent facilement à confusion car le message, ou le « contenu » du médium, n’est qu’un ancien médium à part entière. Et quel est le contenu d’une piscine sinon que de l’eau « civilisée » car contenue, chlorée, recyclée, à usage purement ludique ? Avant que l’homme n’ait pu contenir l’eau, il errait à sa recherche. Il y plongeait son corps, la cueillait aux creux de ses mains, s’en abreuvait à l’occasion de sa rencontre. Puis, quand elle se métamorphosait selon sa mécanique mystérieuse, il partait à nouveau à sa recherche.

Nathanaëlle Herbelin semble nous offrir ici une représentation des limites du récipient, de la rébellion du contenu. Dans « Piscine la nuit », l’homme a bel et bien capturé son eau, mais ceci pour se permettre de l’oublier par la suite. Cette piscine n’est pas usitée. On ne s’y baigne pas. Elle sert uniquement à refléter les fantômes de son extérieur. Mais c’est par les gestes libres employés par l’artiste à représenter les alentours de cette piscine que nous avons une sensation d’agitation vitale. Cette piscine à l’eau muette et léthargique est là pour nous rappeler notre impuissance à retenir la matière vivante de ce monde, notre incapacité à contenir les anciens messages oubliés. Car dans ce tableau, ce n’est finalement pas l’eau – représentée à l’huile ! – qui déborde, mais la volonté inconsciente de l’artiste qui la pousse à indiquer le pouvoir finalement illusoire du cadre.

Shahar Fineberg

Pool in Lisbon, 2017, 195 x130 cm, oil on canvas. Photo by © Lionel Samain