Tentatives de positionnements – Nathanaëlle Herbelin

Dans cette série réalisée en 2018, je tente de décrire par la peinture des constructions observées dans les déserts du Negev et de Judée. Je connais bien ces paysages, je m’y rends souvent. Durant les deux années de mon service obligatoire, j’y étais guide d’excursions. En tant que soldat-guide, une double casquette étonnante, je faisais partie de l’Autorité nationale des réserves naturelles ; j’ai ainsi accédé aux archives photographiques de ses paysages. J’ai, par la suite, documenté moi-même ses déserts.


L’été dernier, je suis partie pour un mois de résidence dans la ville d’Arad. Qualifier Arad de « ville » est assez présomptueux, il s’agit plutôt d’un village très isolé dans le fin fond de la Judée, tout au nord du Negev. Durant ce moment passé à Arad, je me suis beaucoup baladée et j’ai contemplé la variété surprenante du voisinage. Pour échapper à la chaleur étouffante du mois d’août, j’ai passé mes après-midis à l’intérieur, remarquant à quel point la nature s’immisce dans les maisons ; lézards, fourmis, guêpes, insectes minuscules, scorpions, serpents et – bien sûr – le sable.

De retour à paris, ce désert m’obsède et m’attire. Il imprègne ma peinture. Je trouve un intérêt presque anthropologique à regarder et « faire regarder » ces paysages, car ils contiennent énormément de complexités, de contradictions humaines et esthétiques. J’essaye, par exemple, de présenter les contrastes si marqués entre le vide, la force et l’âge de ce désert et les constructions qui le « saupoudrent » et qui semblent être si aléatoires et éphémères. Un autre paradoxe me frappe : la manière de construire chez les bédouins par rapport à celle des juifs. Les bédouins, tels des incarnations du désert, ne se soucient pas du « gouvernement actuel ». Ils ont déjà vu tellement de pouvoirs locaux passer depuis l’empire Ottoman… et bien avant même. Leurs constructions « n’ont rien à prouver ».

Plus je reviens dans ce désert, plus les constructions de son paysage évoluent : des déplacements et des extensions de villages bédouins, l’évolution de la ville de Beer-Sheva et celle de Yeruham, de gros objets abandonnés non identifiables, des déchets laissés sur place à l’issue d’entraînements militaires, des routes et des chemins qui se multiplient, les frontières clairement invisibles et celles qui sont très présentes, notamment la construction minable en 2012 de la nouvelle frontière physique Israël – Égypte, acte que je ne pardonnerais jamais, si il m’entend.

Grâce à mes lectures de Georges Perec et ma passion pour la photographie documentaire, j’ai compris que par une simple description de lieux, il est possible d’apprendre énormément. Par le récit quasi documentaire de paysages et de constructions, on découvre des indices sur les habitants, leurs différences ethniques et leurs histoires. Puisque mes observations et mes recherches se manifestent en peintures, il me semble juste d’essayer de montrer ce que je constate avec mes yeux, plutôt que ce que j’ai ouï dire par les habitants. Il y a pourtant un enseignement majeur que je tire des discussions que j’ai eu là-bas : personne ne craint le silence. Les conversations contiennent de longs moments de parole tue, et animer le vide n’est pas nécessaire. Je ne m’y suis pas habituée. J’ai pour habitude de remplir.

Pour faire cette série de peintures, je me suis installée ici et là pour peindre d’après nature ou j’ai rapporté des photographies à l’atelier pour travailler par la suite. La place que je prends, ma position de spectatrice, est toujours en retrait ; je préfère m’asseoir sur un rocher, ou photographier de ma voiture, car c’est ma vraie place, la plus honnête place que j’ai actuellement.